La santé en Pays de Ploërmel

Les systèmes de santé en France (1) : détour par le livre « La casse du siècle »

Début 2020, Le livre « La casse du siècle » (par Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent, éditions Raisons d’agir, 2019) a été diffusé gratuitement en pdf pour faire comprendre à un large public l’évolution et l’état actuel de notre système de santé, et comment il pourrait évoluer au bénéfice de tous. Vous le trouverez ci-dessous en intégralité. En voici quelques extraits pour vous mettre en appétit.

« Entre 2003 et 2016, ce sont 13 % des lits qui ont été supprimés (64 000 au total). A contrario et durant la même période, le nombre de lits d’hospitalisation à temps partiel (c’est-à-dire pour moins de vingt-quatre heures, uniquement le jour ou la nuit) a, lui, progressé de 53 %, passant de 49 000 à 75 000, soit la création de 26 000 lits. […] Le nombre de prises en charge aux urgences a lui aussi significativement augmenté. En vingt ans, il a doublé, passant de 10 millions à 20 millions. […] Entre 2005 et 2009, l’activité dans le secteur public hospitalier a augmenté de 11 % quand, dans le même temps, l’emploi n’a progressé que de 4 %. […] Le coût de l’hôpital public français est de 0,5 point de Pib inférieur à la moyenne des pays analysés. »

« Est en cours de fabrication et de légitimation un hôpital virtuellement sans accueil, consacré aux seuls soins techniques et hyperspécialisés ; en somme, un « techno-hôpital » où le numérique et l’innovation sont les valeurs cardinales, où le travail de care et de suivi des patients est délégué, privatisé et externalisé aux portes de l’hôpital, lorsqu’il n’est pas renvoyé aux familles des patients, rebaptisés pour l’occasion « aidants ». Cette conception étriquée est un contresens dans la mesure où l’hôpital est de plus en plus confronté à une population vieillissante et/ou précarisée, ainsi qu’à des personnes atteintes de maladies chroniques : toutes ces catégories de patients nécessitent certes des soins techniques, mais ils demandent aussi et surtout une prise en charge psycho-logique et sociale, en sus d’un travail de prévention individualisé. »

« Il convient pour l’observateur d’être attentif à ne sombrer ni dans la dénonciation simpliste de la centralité de l’hôpital, ni a contrario dans une défense aveugle de ce même système, qui pèse lourdement sur les épaules des soignants. Tenir cette position exige de prendre de la distance et de considérer la contingence de la situation actuelle. La perspective historique nous enseigne que c’est l’État lui-même, appuyé par les élites hospitalières, qui a institué, à partir des années 1950, un hôpital omnipotent chargé tout à la fois de la prévention, des maladies aiguës et chroniques, de l’enseignement et de la recherche. Bien plus qu’un centre de santé, l’hôpital est devenu le centre de la santé. Mais, parallèlement, si l’État a contribué à fabriquer ce géant, il lui a progressivement façonné des pieds d’argile : à la grande différence de la médecine de ville, où la confrontation avec les puissants syndicats de médecins libéraux a été constamment évitée, l’hospitalocentrisme s’accompagne d’une mainmise croissante de l’État, lequel cherche à concilier l’égalité d’accès aux soins, la qualité et la sécurité de ces soins avec, bien entendu, la maîtrise des coûts. »

« En 1996 sont créées les agences régionales de l’hospitalisation (ARH) afin de mieux coordonner l’action des différents échelons de l’État hospitalier. Elles sont intégrées en 2009 dans les agences régionales de santé (ARS), dont le concept a été élaboré dès le début des années 1990 par la commission Soubie du Commissariat général du Plan, lieu pivot de la réflexion technocratique. Avec les ARS, les services régionaux de l’Assurance maladie et les segments de l’administration étatique sont fusionnés dans une agence placée sous l’autorité d’un directeur général ayant le statut de haut fonctionnaire contractuel nommé et révocable. Le label « agence », suggérant une certaine autonomie d’action, ne doit pas abuser. En réalité, les ARS fonctionnent comme des super-administrations déconcentrées et hiérarchiquement soumises au ministre de la santé. Dans ce cadre administratif, le contrôle sur les établissements et sur les moyens qui leur sont accordés se renforce. Arrachés aux logiques locales, les hôpitaux deviennent partie prenante d’une politique nationale mise en œuvre par les ARS et dominée par les objectifs budgétaires. Cette évolution est particulièrement lisible dans celle du corps des directeurs d’hôpital, dont la revalorisation symbolique et matérielle constitue la contrepartie de son assujettissement à l’État central. […] Leur mission consiste désormais largement à réaliser des économies budgétaires et à faciliter les rapprochements avec les autres établissements dans le cadre de fusions, de fermetures ou de conversions, sous le regard sourcilleux des ARS et de l’administration centrale, en évitant de faire trop de vagues. […] Depuis le milieu des années 1990, et singulièrement depuis les années 2000, l’heure est aux processus de concentration horizontale et verticale : économies d’échelle, « rationalisation » des fonctions support, utilisation optimale des plateaux techniques au nom de l’efficience, mais aussi, et surtout, de la qualité et de la sécurité des soins. L’argument concernant ce dernier point est connu, il sert de rempart à tous les habitués des plateaux télévisuels souhaitant justifier les fermetures d’établissements de proximité : « si on regroupe, c’est parce qu’il est dangereux qu’un chirurgien ne réalise pas x interventions par mois ou qu’une maternité pratique moins de 300 accouchements par an. » Des études montrent pourtant que, si cette assertion vaut pour certains actes (les plus difficiles et les plus techniques), elle est en revanche incertaine pour beaucoup d’autres plus bénins. »

« Les opérations de fusion sont particulièrement délicates à mener car elles dépendent de la nature de l’activité médicale concernée et de l’organisation des équipes de soins. Or elles ont été menées sans que leurs promoteurs aient apporté les preuves de leur bien-fondé. Un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le sujet tire d’ailleurs les conclusions des résultats souvent décevants, parfois catastrophiques, de la « merger mania » des années 1990-2000 en France : « Dans la réalité, si le lien entre taille de l’hôpital et qualité des soins existe bel et bien, les études montrent que celui-ci n’est pas automatique : il est spécifique à chaque acte, varie dans le temps et cesse de s’observer au-dessus d’un certain volume, au demeurant difficile à déterminer. » Ce même rapport IGAS souligne les raisons, rebaptisées « facteurs de risque », de ces échecs répétés : le temps de trajet entre les deux établissements risque de susciter l’opposition du personnel ; la fusion peut inciter les patients à recourir à une autre structure que celle issue des entités fusionnées ; il y a trop de divergences entre les entités appelées à fusionner en matière de situation financière ; la fusion ne se justifie pas par la complémentarité des activités des structures ; des entités finalement trop grandes entraînent un surcoût et une complexité de gouvernance, etc. »

« Le slogan néomanagérial du virage ambulatoire prétend réconcilier magiquement impératifs financiers (soigner au moindre coût), exigences en matière de qualité des soins et aspirations des patients (lesquels, souvent vieillissants et atteints de maladies chroniques, manifesteraient leur souhait d’être hospitalisés au plus près de leur domicile). Difficile donc a priori de s’y opposer. Les pouvoirs publics trépignent devant le « retard » français en matière de chirurgie ambulatoire, d’hospitalisation à domicile, de prise en charge ambulatoire de médecine, de soins de suite et de réadaptation, et de psychiatrie. Ainsi, en 2014, la chirurgie ambulatoire représentait seulement 45 % des interventions en France, contre 80 à 90 % à l’étranger, tandis que les hôpitaux de jour accueillaient « seulement » un quart des séjours de médecine. Mais ces chiffres sont brandis sans mentionner la spécificité de l’organisation des systèmes de soins nationaux : l’hospitalisation ne remplit pas les mêmes fonctions d’un pays à l’autre. Dans les systèmes dits « beveridgiens » (Grande-Bretagne, Scandinavie), il n’y a pas, par exemple, de soins spécialisés en ville, tandis qu’il y existe des petites cliniques ambulatoires où exercent en équipe médecins généralistes, infirmières, kinésithérapeutes, diététiciens. L’obsession budgétaire s’alimente aussi d’une passion pour la technicité, l’hôpital étant censé devenir, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, un lieu de transit : des professionnels de la santé travaillant en équipe et en réseau grâce à la e-santé et aux objets connectés s’y affaireraient autour du patient, puis celui-ci retournerait immédiatement à son domicile. »

« Sur le papier, tout le monde signe – patients, professionnels, établissements. Mais, du papier à la réalité, il y a un gouffre. Des raisons de tous ordres creusent ce gouffre. Les premières sont de nature sociologique : de nombreux patients précaires, vieillissants et/ou atteints d’une maladie chronique sont isolés en raison de leur situation familiale instable, fragile (que l’on pense à la crise de la canicule de 2003), d’inégalités toujours criantes dans la répartition du travail domestique et du care, ou encore de difficultés d’accès au logement. Cet isolement de certaines personnes rend leur renvoi à domicile et leur non-hospitalisation potentiellement anxiogènes voire dangereuses. À cela s’ajoutent des raisons démographiques : la réduction drastique de la durée d’hospitalisation suppose en tout premier lieu que les soins de proximité soient correctement organisés et financés. Ce n’est certainement pas le cas actuellement. Au contraire, on observe depuis le début du XXIe siècle un rationnement des soins de généralistes ; et le nombre de médecins généralistes va continuer à baisser. Du fait de la tendance à la réduction de leur temps de travail, le temps médical disponible ne cesse de diminuer : le nombre de visites est en réduction nette, tandis que celui des consultations de généralistes est stable, ce qui signifie, dans un contexte d’expansion démographique de la population, une moindre intensité de la prise en charge. Entre 2000 et 2013, le nombre de soins de généralistes reçus par les patients a baissé de 15 %. Parallèlement, on a assisté à l’augmentation des soins délivrés dans les services d’urgence et les consultations externes des hôpitaux : 9 % par an. Autrement dit, le « virage ambulatoire » est un slogan qui masque – ou nie – une dynamique contraire : celle d’un virage hospitalier, dont l’engorgement des urgences est l’un des principaux symptômes. »

Un commentaire

  • Anonyme

    Excellent travail de synthèse. Ceci va permettre de diffuser largement cette contribution à la compréhension du problème de l’hôpital aujourd’hui.
    L’hôpital de Ploërmel est aujourd’hui intégré au Groupement Hospitalier Brocéliande Atlantique et est un exemple très concret de ce qui est développé dans « la casse du siècle ».
    La mobilisation des citoyens est d’autant plus nécessaire. Le Collectif Santé du Pays de Ploërmel est ouvert à toutes les contributions (collsantepp@orange.fr).
    Alain Rault

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