64 ans NON
Le lundi 20 mars monsieur le maire de Ploërmel, Patrick Le Diffon, se voyait contraint de venir rencontrer les personnes mobilisées contre la réforme des retraites. Celles-ci attendaient devant l’hôtel de ville le résultat de la motion de censure concernant le 49.3, utilisé par le gouvernement pour faire passer sa réforme, faute de majorité à l’Assemblée Nationale. Avec courage monsieur le maire vint à la rencontre de ses citoyens en colère pour entendre leur mécontentement. Maladroitement il leur dit qu’il avait 65 ans et se sentait suffisamment en forme pour pouvoir continuer à travailler en exerçant ses différents mandats.
Il me vint alors à l’esprit que monsieur le maire n’avait pas compris pourquoi cette réforme n’est pas entendable par la plupart des français. Il ne s’agit pas seulement d’un retour en arrière sur un conquis social de 1981, obtenu après l’élection de Mitterrand et que le patronat, tout comme les 35 heures, n’a jamais accepté. Pour certains plus anciens travailler jusqu’à 65 ans « on le faisait bien », si les plus jeunes générations ne veulent pas le faire, c’est par défaut de courage. Si le droit à la paresse, comme le chantait Moustaki, relève du savoir vivre, il me semble que cet argument n’est pas le principal.
Non Mesdames, Messieurs si le peuple refuse de devoir travailler jusqu’à 64 ans c’est parce qu’il ne le peut pas et non parce qu’il ne le veut pas.
Le travail en 4 décennies s’est beaucoup transformé. Les ouvriers et salariés sont devenus des forces de travail que l’on prend et que l’on jette sans aucune humanité. La précarisation des emplois s’est généralisée au travers de contrats en CDD ou en Intérim qui permettent à l’employeur de ne conserver que ses salariés les plus performants, c’est pourquoi bon nombre d’entre nous se retrouvent sans emploi après 55 ans, car les cadences sont devenus infernales et le corps lâche, parfois même avant. Et ne parlons pas des emplois « ubérisés », où les personnes sont rémunérées à la tâche, sans protection sociale.
Dans des emplois davantage choisis, notamment dans ceux du soin ou du prendre soin, de l’éducation, c’est le sens du métier qui peu à peu s’est estompé. Nous savons que le travail que nous exerçons est utile à la société, mais nous ne pouvons plus le faire correctement, faute de temps et parce qu’on nous demande des tâches administratives et du rendu compte qui n’ont rien à voir avec le cœur de nos missions. Dès lors notre fatigue n’est pas seulement physique, elle est une charge mentale, celle de ne pouvoir faire son travail ou de le faire mal. Les arrêts se multiplient, jusqu’au burn-out qui contraint à un repos de plusieurs mois, voir une impossibilité à pouvoir un jour reprendre son travail. « Je ne veux plus y aller. Je ne peux plus y aller ! ».
Dès lors comment peut-on imaginer que nous devions travailler deux années de plus dans un tel contexte ? (la probabilité que nous finissions nos carrières au RSA, où il nous faudra d’ailleurs peut-être travailler bénévolement, est de plus en plus grande)
Comment en est-on arrivé là ? En parallèle de la diminution du temps de travail (35 heures, retraite à 60 ans) les employeurs (qui peuvent aussi être les collectivités territoriales ou l’État), ont mis en place la flexibilité. Il fallait faire plus en moins de temps, compte-tenu d’une concurrence devenue mondiale. Il nous fallait, selon eux, devenir davantage opérationnels. L’informatique, la robotisation, les techniques de « management », les diverses attaques du code du travail (la dernière, la loi travail dite « El Komri » n’étant pas la moindre) ont permis des gains de productivité substantiels, qui ont compensé bien au-delà cette diminution du temps de travail. Ces très importants gains de productivité n’ont jamais été redistribués aux salariés depuis 40 ans, mais continuellement aux actionnaires.
Et l’on vient aujourd’hui nous dire qu’il faut encore davantage presser le citron, car c’est une chance, nous allons vivre plus vieux et donc plus longtemps en retraite. Outre que cette assertion n’a rien d’une certitude, l’espérance de vie ayant plutôt tendance à diminuer, dans quel état de santé serons-nous lorsque nous aurons droit à prendre cette retraite ?
On nous dit « ailleurs en Europe, les autres travaillent plus longtemps. ». En Allemagne la retraite complète est à 67 ans, mais seulement 15 % des allemands vont jusque là.
C’est donc bien la finalité d’une ouverture anticipée de nos droits à la retraite que nos dirigeants cherchent à mettre en place. Observez combien nos banques, nos mutuelles s’empressent de nous proposer un Plan Épargne Retraite (PER) tout au long de notre vie active. A l’image des mutuelles qui, à partir des années 80, ont peu à peu pris la place de la sécurité sociale sur le remboursement des actes médicaux et des médicaments, la retraite par répartition diminuera peu à peu, au profit des PER pour ceux qui auront eu les moyens d’y avoir déposé des économies. Dès lors,les plus riches pourront déclencher leur droit dès 60 ans, avec une forte décote, puisqu’ils auront su anticiper leur vieillesse. Tandis que les plus indigents qui sont par obligation les moins prévoyants, devront aller jusqu’à 64 ans et au-delà.
Depuis sa création en 1945, le monde financier lorgne sur la sécurité sociale, en rêvant des bénéfices qu’il pourrait se faire si une privatisation pouvait advenir de ce régime collectif assurantiel. Peu à peu il grignote, les mutuelles obligatoires ne sont rien d’autre qu’un cadeau fait aux assurances privées (nous étions aussi bien remboursés à l’époque de la sécurité sociale). Il va en aller de même pour nos retraites par répartition. Qui pourra continuer à travailler dans les conditions de travail décrites ci-dessus jusqu’à un âge de plus en plus canonique ? Immanquablement nous accepterons d’économiser pour notre retraite individuellement dans les P.E.R., qu’on nous propose aujourd’hui.
La finance et les actionnaires ont encore de beaux jours devant eux.. Qu’ils se rassurent, les allègements des cotisations pour les employeurs vont se poursuivre afin de pouvoir continuer de dire que les caisses de sécurité sociale sont vides et qu’il faut réformer le modèle.
Voilà pourquoi monsieur Le Diffon nous refusons de travailler jusqu’à 65 ans et aussi peut-être parce que nous avons envie d’occuper notre retraite à travailler pour le bien commun, soit au travers d’un mandat d’élu, comme vous qui êtes en retraite de votre emploi salarié, soit en donnant de notre temps pour des associations caritatives ou autres, ou pour nos vieux parents et/ou nos petits enfants.
Thierry Guinche, jeune retraité de 62 ans